DISCORAMA #10 - Selfportrait (1970)

Il y a trois manières, à mon sens, d’envisager « Selfportrait », l’un des albums les plus décriés du Zim, publié en 1970 : 1) S’exclamer qu’il s’agit d’une sombre merde, à la manière de Greil Marcus, le trouver aussi ignoble et idiot que sa pochette, le jeter aux ordures sans même l’avoir réécouté.
2) Avoir un peu plus de recul et se dire que oui, c’est pas terrible, mais que Dylan l’a fait exprès, qu’il a compilé ces chutes de studio pour dérouter une fois de plus son public et s’affirmer comme un artiste qui s’interdit de donner à ses fans ce qu’ils attendent.
3) Aimer ce disque pour ce qu’il est : une adorable collection de vignettes country, inoffensifs et agréables, à déguster au premier ou au second degré selon l’humeur. Moins bon que « Nashville Skyline », meilleur que « Dylan ». Moi c’est comme ça que je conçois « Selfportrait ». Et c’est pour ça que je me sens un peu obligé de le réhabiliter.

Oui, la pochette est moche. Dylan n’a jamais été doué pour la peinture, on le sait. Cependant, elle illustre bien ce que je pense de l’album : déroutant au premier abord, mais touchant de simplicité et vraiment attachant à la longue. Alors il faut aimer la voix country de Bobby. Il faut savoir apprécier la variété et les chœurs guimauve qui enrobent ces compositions réalisés à la va-vite, ses reprises chevrotantes, ses morceaux live bâclés. Moi je trouve beaucoup de charme à ce double album qu’il faut savoir déguster à petites doses, au bon moment. Un froid après-midi d’hiver. Une paisible soirée d’été à la campagne. En regardant la pluie tomber.

« All the Tired Horses » et ses deux lignes répétées à l’infini par deux choristes en roue libre et de petits arrangements charmants comme tout, c’est rentrer à la maison, se vider l’esprit et se lancer dans une heure de décontraction en compagnie de l’ami Bobby. Pas de classiques, pas de bons mots, pas de révolution, rien que du mielleux, pas toujours très bien produites, pas toujours très bien chantés. Parfois, c’est même tellement faux que c’en est rigolo. Et moi je les adore tout ces défauts, c’est une autre facette de Dylan qui me séduit beaucoup. Faut voir sa gueule dans le livret, en train de se promener dans les champs, de nourrir les poules. Il a l’air heureux, il a pas envie de s’emmerder à nous pondre un énième chef d’œuvre. Qu’on lui foute la paix, la magie reviendra. Pour l’instant, savourons une petite pause sans prétention, délicieusement foutraque. Calculée peut-être, mais ça on s’en fout.

Une joyeuse bande accompagne le Zim dans son long égarement, du Band au fidèle producteur Bob Johnston, et on le laisse faire et tout va pour le mieux. Moi j’adore ce « Early Morning Rain » emprunté à Gordon Lightfoot, avec son harmonica champêtre, ses paroles un peu couillonnes et sa douce mélodie. « Days of 49 » est peut-être le morceau le plus réussi de l’album et la reprise de « Blue Moon » est du miel pour les oreilles. On retrouve aussi « Like a Rolling Stone » et « She Belongs to Me » dans leurs versions live à l’île de Wight, des versions assez risibles mais qu’on ne peut s’empêcher de siffloter gaiement. « Take a Message to Mary » aurait très bien pu figurer sur « Nashville Skyline », tout comme la rengaine « Alberta » qu’on retrouve au début et à la fin. Et puis j’aimerais dire un mot sur « Wigman », chanson la plus méprisé de Dylan, peut-être même pas une chanson. Bah non, c’est juste un type qui fredonne bêtement, sur un air de guitare chevrotant. Pourtant je l’adore cet air stupide, et je le sifflote moi aussi, comme un gamin. Ouais, Dylan régresse, s’amuse, prend du bon temps et bien qu’il se foute un peu de notre gueule, il le fait pas méchamment.

Alors savourons cet album, aimons le pour ce qu’il est, et très vite il deviendra un bon compagnon. Loin d’être une merde, c’est tout simplement un petit disque de country adorable, qui souffre surtout de débarquer après une décennie de chef d’œuvres, et qui forcément déçoit, rebute même. Avec le recul, il faut savoir relativiser, ne pas crier à l’arnaque, ne pas se poser trop de questions. Si l’on aime le genre, si l’on supporte la voix, on aimera « Selfportrait », et le vilain petit canard deviendra incroyablement attachant.

Bel article, Dylanesque !

Merci !

Si vous êtes d'accord avec moi, ou qu'au contraire vous détestez cet album controversé, faites le savoir !

Déjà, s'il avait pu s'abstenir d'inclure les Live (qui ruine l'ensemble) et surtout les horribles In search of little Sadie et Woogie Boogie, SF eût été parfait dans son genre.

N'oublions pas que Dylan avait eu à cette même époque le projet d'un album avec The Byrds - mais cela ne s'est pas fait pour d'obscures raisons de paperasseries.

Au fond, je me demande si SF n'est pas la continuation clownesque des Basement Tapes.

odradek a écrit:

Au fond, je me demande si SF n'est pas la continuation clownesque des Bssement Tapes.

Intéressant comme point de vue ! C'est vrai que le disque aurait été meilleur sans la partie 2 (de "Let it Be Me" à "Like a Rolling Stone" en live)

https://bdylan.forumactif.com/l-oeuvre-f2/self-portait-vs-portrait-self-t965.htm

J'avais pas vu ! Comme quoi, cet album, bon ou mauvais, est fascinant !

Self Portrait est un album dont il est plus interessant de parler que de l'écouter

A l'époque ou il est sorti, je comprends certaines réactions. En effet, si self portrait était sensé représenter l'évolution du style Dylanien, les fans des premiers albums étaient assez déroutés.

aujourd'hui, on sait ce que Bob a fait par la suite (et c'est pas fini !) donc on peut envisager plus objectivement la place de cet album dans l'ensemble de l' oeuvre, sans inquiétudes particulières pour l'avenir de Dylan, et profiter sans arrières pensées des bons moments de cet album

Je proteste, les paroles de Early Mornin rain sont très bien, et non pas "un peu couillonnes" !

Autre hypothèse : Dylan s'est fabriqué son propre bootleg. Un album-concept en somme.

Non ?

En tout cas, SP serait sorti sous le manteau, sous la forme 'pirate', c'eût été un album culte.

pareil pour dylan 73?

vox populi a écrit:

pareil pour dylan 73?

non Dylan 73 est une production de la maison de disque, en réaction à la désertion ( temporaire ) de dylan

Dylan 73 n'est pas un album,c'est une arnaque.
On pourrait dire la même chose de Self portrait mais je ne suis pas si méchant ..

Planet waves a écrit:

Dylan est une arnaque.

Comme tu y vas... Il a écrit quelques titres potables tout de même!

Planet waves a écrit:

Dylan 73 n'est pas un album,c'est une arnaque.
On pourrait dire la même chose de Self portrait mais je ne suis pas si méchant ..

mais dans dylan 73 il y a lily of the west

blounote a écrit:

Planet waves a écrit:

Dylan 73 n'est pas un album,c'est une arnaque.
On pourrait dire la même chose de Self portrait mais je ne suis pas si méchant ..

mais dans dylan 73 il y a lily of the west

qui n'aurait jamais du voir le jour sur cet album ..
il aurait été très bien dans un bootleg series.

(Au passage, j'aime beaucoup la peinture de la pochette. Sans rire.)

Le nez bleu, rouge l'oreille de gauche et l'enfer dans la bouche cernée de noir.

Et les traits jaunes. Pourquoi ? On ne sait pas.

sur l'album dylan 73 j'aime bien Sarah Jane..Suis je fou?

Un jour, je serai fou, nu comme un ver, étendu sous le ciel étoilé d'une Normandie en perdition sous une pluie battante telle une porte de l'oubli et je serai libre, oui, libre... Car la liberté, c'est un peu la folie, et la folie, c'est un peu la liberté... Et ce jour là, j'écouterai Self Portrait. Oui. En attendant, avec vos remarques désobligeantes, j'ai toujours pas trouvé le courage.

Orchard Vale a écrit:

Un jour, je serai fou, nu comme un ver, étendu sous le ciel étoilé d'une Normandie en perdition sous une pluie battante telle une porte de l'oubli et je serai libre, oui, libre... Car la liberté, c'est un peu la folie, et la folie, c'est un peu la liberté... Et ce jour là, j'écouterai Self Portrait. Oui. En attendant, avec vos remarques désobligeantes, j'ai toujours pas trouvé le courage.

Pourtant, tu devrais vraiment essayer.

Orchard Vale a écrit:

Un jour, je serai fou, nu comme un ver, étendu sous le ciel étoilé d'une Normandie en perdition sous une pluie battante telle une porte de l'oubli et je serai libre, oui, libre... Car la liberté, c'est un peu la folie, et la folie, c'est un peu la liberté... Et ce jour là, j'écouterai Self Portrait. Oui. En attendant, avec vos remarques désobligeantes, j'ai toujours pas trouvé le courage.

Un conseil : attends l'été. Une bonne bouteille de rosé à l'apéro, un reste d'abeilles butinant ça et là, la promesse d'une belle nuit étoilée, et SP en fond sonore - juste en fond...

odradek a écrit:

Orchard Vale a écrit:

Un jour, je serai fou, nu comme un ver, étendu sous le ciel étoilé d'une Normandie en perdition sous une pluie battante telle une porte de l'oubli et je serai libre, oui, libre... Car la liberté, c'est un peu la folie, et la folie, c'est un peu la liberté... Et ce jour là, j'écouterai Self Portrait. Oui. En attendant, avec vos remarques désobligeantes, j'ai toujours pas trouvé le courage.

Un conseil : attends l'été. Une bonne bouteille de rosé à l'apéro, un reste d'abeilles butinant ça et là, la promesse d'une belle nuit étoilée, et SP en fond sonore - juste en fond...

A ne pas confondre avec au fond...

Orchard Vale a écrit:

odradek a écrit:

Orchard Vale a écrit:

Un jour, je serai fou, nu comme un ver, étendu sous le ciel étoilé d'une Normandie en perdition sous une pluie battante telle une porte de l'oubli et je serai libre, oui, libre... Car la liberté, c'est un peu la folie, et la folie, c'est un peu la liberté... Et ce jour là, j'écouterai Self Portrait. Oui. En attendant, avec vos remarques désobligeantes, j'ai toujours pas trouvé le courage.

Un conseil : attends l'été. Une bonne bouteille de rosé à l'apéro, un reste d'abeilles butinant ça et là, la promesse d'une belle nuit étoilée, et SP en fond sonore - juste en fond...

A ne pas confondre avec au fond...

Je vois où tu veux en venir, petit canaillou.

Au fond, tu n'as pas tort - mais la romance existe, il faut faire avec.

Demande aux grillons.

Un forumeur du nom de no direction home propose une autre vision de cet album qui aurait été sortie par Dylan pour contrer les Bootlegers qui avaient fait leur choux gras des enregistrements inédits du Zim grâce au Great white wonder.

Il avoue avoir pété les plombs en 1970 en découvrant le nombre de bootlegs estampillés Bob Dylan alors en circulation. Sa volonté aurait alors été de vouloir publier tous les outtakes de Nashville avant les bootleggers, pour court-circuiter le marché qui était en pleine expansion depuis "Great White Wonder". Vérité ou nouvelle façon pour Dylan de détourner le sujet ? On ne saura jamais. Mais cela paraît tout à fait crédible, connaissant l'aversion du bonhomme pour les bootlegs.

Quand je lui ai demandé un peu plus d'explication et s'il estimait que SP était ou non un album volontaire saboté il a répondu la chose suivante


Quand je parle d'outtakes de NS il s'agit plutôt d'idées que des outtakes à part entière.

La première session de matériel qui sera plus tard utilisée pour "Self Portrait" a lieue le 24 avril 1969, soit une poignée de jour après la sortie de "NS".
Il y en aura encore trois sessions après celle cie , puis ca sera tout pour l'année 1969.
L'enregistrement reprend en mars 1970 et à New York cette fois. La dernière sesson aura lieue le 5 mars au studio B.

Puis viennnent les séances d'overdubs à Nashville et Los Angeles. Comme je l'ai précisé, Dylan n'est pas présent dans les studios lors de ces sessions. Il se contente d'envoyer les bandes accompagnées d'indications sommaires sous formes de notes manuscrites. Pour certaines chansons, la quasi totalité de la section rythmique basse/batterie est réenregistrée.
Bob Johnston est derrière la console, mais il ne sait pas vraiment ce que Dylan veut faire de ces chansons. Charlie McCoy, un fidèle du Zim', est le premier surpris de ne pas le voir se pointer une seul fois pendant les séances.

De ce côté là, oui qu'il y a une certaine volonté de sabotage. Le Zim' déteste les overdubs, pourquoi en veut-il autant cette fois ? Et surtout pourquoi ne vient-il même pas donner ses instructions ? Là oui, il y a un grand je m'en foutisme du rendu final.

Je pense que c'est du 50/50. Autant sur certaines chansons il s'est appliqué sur les intonations, que la chanson est travailé. Autant sur d'autres il a tout bâclé et fait des rajouts indigeste au petit bonheur la chance.

Si l'on tient compte des commentaires de Dylan sur sa peur des bootlegs dès 1970, cela revient à dire que les sessions d'avril 1969 étaient avant tout là pour le plaisir. Il serait donc retourné en studio en 1970 pour "essayer" d'en tirer un album de peur qu'elles ne deviennent des bootlegs. C'est très embrouillé...

Pour appuyer son propos NDH se réfère à une interview du Zim datant du milieu des années 80 où le Zim lui même avoue avoir concu cet album comme un bootleg officiel, précisant que "si cet album aurait été un véritable bootleg, tous le monde l'aurait écouté religieusement en secret. ".

Bref le Self portrait pourrait être la réponse de Dylan à GWW ..une manière pour lui d'essayer de couper l herbe sous les pieds des pirates qui pillaient son répertoire beaucoup plus qu'une volonté de la part du Zim de foutre son statut d'icône en l'air

Cela expliquerait aussi pourquoi il a mis sur ce disque des extraits du live sur L'Ile de Wight..refusant sans doute l'idée que son retour sur scène puisse être utilisé par les bootlegers pour faire fortune

Je n'y crois pas du tout.
A l'époque, si tu veux couper l'herbe sous le pied des bootlegers, je suis pas sûr que ce soit en sortant des sessions qui n'intéressent personne.
Si il avait vraiment voulu emmerder les pirates, il aurait sorti les Basement Tapes (le GWW, quoi) ou le Royal Albert Hall !

Moi, je crois à la thèse du sabordage volontaire.
Parce qu'il la répété souvent !
Dans ses Chroniques évidemment.
Et puis là, par exemple.
1984, interview pour Rolling Stone :

Après tout un long passage où il explique qu'il se sentait épié, pourchassé, qu'il n'en pouvait plus des attentes qu'il y avait autour de lui...

"Et je me suis dit : "J'en ai marre, pourquoi ces gens ne veulent-ils pas m'oublier ? Je veux faire quelque chose qu'ils ne pourront pas aimer, qui ne puisse rien leur dire. Ils verront, ils écouteront, puis ils diront : "Bon, allons voir le suivant. Il ne nous dit plus rien". Vous voyez ?"

Plus loin...

"Pour moi, cet album était une plaisanterie".

Le journaliste le relance : Mais pourquoi avez-vous étendu la plaisanterie à un double-album ?
[...] "Si vous y mettez un tas de saleté, il vaut mieux bourrer un peu !"

Donc tout ça me paraît très clair.
Au niveau des chansons, alors qu'il a du matos à l'époque, il ne retient que les pires.
Au niveau du son, tu peux pas faire plus variétoche dégoulinante que ce disque.
Tu peux pas faire moins Dylan que ce disque.
Et - effectivement - il va même jusqu'à faire des overdubs - processus totalement non-naturel pour lui - tout en se désinteressant complètement de ce qui se passe en studio...

J'aurais au contraire tendance à croire à cette théorie car elle répond à de nombreuses questions

-pourquoi sortir self portrait alors qu'il a de quoi sortir un bien meilleur album avec New morning
Pour empêcher les bootlegers d'utiliser les fonds de tiroirs que le Zim avait enregistré quelques jours après la sortie de Nasville skykine

- pourquoi avoir mis des versions du live de Wight

S'était le grand retour de Dylan sur scène..Des bandes circulant sous le manteau auraient valu une véritable fortune ..En les publiant de manière officielle il détruit le marché noir

-pourquoi si peu d'investissement dans SP
tout simplement parce que pour lui SP n'est pas un vrai disque ..Juste une manière de court circuiter ce qu'il considère comme des parasites...

Ensuite tout colle au niveau des dates Dylan enregistre en mai 1969..Lorsqu'en juillet 1969 sort le GWW il se repenche rapidement sur ses anciens enregistrements pour éviter qu'ils ne soient à leurs tour exploités par les bootlegers. Comme il n'a pas assez de matériel il enregistre une suite de reprise sans intérêts pour complèter la chose. Au moment de faire le choix il décide de tout mettre pour ^tuer le marché noir dans l'oeuf

Reste la question des Basement Tapes..Pourquoi ne pas avoir sortie ce disque rapidement ?
Peut être parce qu'il ne le pouvait pas pour des raisons de droits. De nombreux morceaux étaient peut être déjà sous licence à l'époque avec une autre maison de disque (vu que Dylan a fait circuler ses enregistrements pour les vendre à des interprètes)..Et puis le Band avait peut être aussi son mot à dire et ne voyait pas l'intérêt de publier les BT juste pour répondre à un caprice du Zim..peut être que le GWW ne gênait pas les membres du Band...

Après il est fort probable que l'accueil réservé à SP ai servie au Zim à faire tomber le mythe..mais je ne suis pas sûr que s'était son objectif premier..ce n'est qu'une heureuse conséquence. Pas si heureuse que ca d'ailleurs quand on pense qu'il a quand même sortie NM très rapidement après SP