Mr. Dylan got the Blues

Allez, vous avez réussi à me convaincre d'ouvrir un topic. J'y passerai de temps en temps.
J'aborderai autant que possible les accointances entre Zimmy et les Blind, Robert et consorts de l'autre siècle. Il faut dire que c'est ce qui m'a d'abord séduit chez Bobby : son répertoire presque blues, et déjà post-blues... enfin, ce chaudron bizarre d'où jaillissent de drôles d'effluves. D'ailleurs, je tiens à souligner que quand j'entends chanter aujourd'hui certains dinosaures (BB King, John Mayall, etc.), je me dis que, loué soit Dieu ! Bob Dylan est encore là, et c'est lui qui a gardé les clefs du temple.

Commençons facilement avec Someday Baby (Modern Times, 2006), énième reprise d'un titre pour le moins fondateur gravé par Sleepy John Estes l'illustre en 1935 :



C'est en 1935, le 9 juillet - je ne me souviens plus de l'heure - que l'ami Sleepy entre dans la légende en gravant ce titre, accompagné par l'harmonica de Hammie Nixon. A Chicago, seconde patrie du genre. La voix de Sleepy rappelle celle des pleureuses antiques, qui donnaient à entendre rien moins que la plainte des trépassés. Notons que notre joyeux drille, qui aimait cumuler les talents, était borgne et narcoleptique. Des fois, ça fout le frisson.
L'ami Sleepy ré-enregistrera ce titre un peu plus tard et sera imité par le Major Big Maceo (selon moi, LE plus intense pianiste du blues) en 1941 sous le nom, devenu légendaire depuis qu'il est passé par la divine bouche d'un certain John Lee Hooker, de Worried Life Blues.

Version de Big Maceo :



Des demandes, des réclamations, un déplacement de topic, n'hésitez pas.
Don't forget to boogie, les gars.

Impressionnant
Je ne savais pas
c'est carrément évident que le titre de Modern Times et un plagiat de ce standard*
Sacré didi

Rollin' and Tumblin', sur Modern Times également (Modern Times qui portent décidément bien leur nom) marche comme chacun sait dans les mêmes pas. Mais ce que quelques uns ignorent encore peut-être, c'est que ce n'est pas Muddy Waters qui a enregistré cette chanson en premier, ni même Robert Johnson, mais le grand, beau et fort Gus Cannon. En 1928 ! Je sais pas vous, mais moi, 1928, c'est une date qui m'ébranle.
Florilège pour finir (noyer) la soirée :

Minglewood Blues - Cannon's Jug Stompers - 1928



If I had possession over judgement day (la plus belle) - Robert Johnson - 1936



Rollin' and Tumblin' - Canned Heat - Live Monterey 1967



Etc., etc.
Bonne nuit les gars.

Voilà un topic qui mérite écoute attentive, réflexion, convocation des souvenirs d'autre chansons pour relancer.
Je reviendrai.

Muni de mes Blues Roots of Bob Dylan ainsi que de Woody Guthrie ou Antholology of American Folk Music.
Parce que ce que tu appelles "plagiat", vox populi, en utilisant le terme si connoté péjorativement, n'est que l'essence des musiques à tradition de transmission : folk et blues.

Eh oui..Là ca pose carrément un souci car si on compare le morceau de Dylan avec celui de canned Heat c'est vraiment le même
A ce niveau là c'est un plagiat de première catégorie
Autant au début de sa carrière l hommage a woodie est évident et les paroles n'ont rien à voir avec l'orginale..Autant ici c'est moins glorieux

Ah ben tiens : ma réponse par hasard juste avant ton post, quand j'ai édité pour finir mon propos

Oui je comprend ton point de vue mais pour moi là c'est un plagiat

Blowing in the wind est un air emprunté au trad
La tradition folk consiste, comme tu le dit, a reprendre de vieux airs mais en réécrivant de nouvelles paroles qui témoignent d'une nouvelle époque
C'est le cas de BITW et c'est aussi cela le génie de cette chanson

Sur ces titres Dylan ne change ni la mélodie, ni les paroles (ou si peux)
Pour moi ce n'est du plagiat pur et simple

I

Je ne sais pas si c'est du plagiat car en effet, ça fait partie de la tradition folk/blues revendiqué par Dylan depuis le début (qui a même dit être inspiré par les années 30 plus que par les années 50). Mais pour "Modern Times", qui a fait l'objet d'une véritable controverse outre-Atlantique à ce sujet, il aurait dû avoir la délicatesse de citer les auteurs ou de qualifier les morceaux de reprises, comme il l'avait fait sur "World Gone Wrong" ou "Good as I Been To You". Au lieu de ça, il s'approprie les titres, les signe de son nom et du coup, ça frôle en effet le plagiat.
Sacré Bob !

De mon point de vue la trad du folk n'est pas de reprendre paroles et musique d'un autre compositeur ou même d'un trad pour les signer
La trad de la folk c'est d'emprunter une mélodie pour reconstruire une oeuvre nouvelle en changeant les paroles

Il l'a fait sur

Song To woody
The death of emmett till
etc...

Ici c'est pas exactement la même chose

Peut-être aussi la tradition folk rend le crédit compliqué, imaginez reprendre House of the rising sun aujourd'hui, qui allez-vous cité comme auteur ? Certains ont améliorer la mélodie, d'autres les paroles, ce sont des chansons qui évoluent avec le temps.

Aleyster a écrit:

Peut-être aussi la tradition folk rend le crédit compliqué, imaginez reprendre House of the rising sun aujourd'hui, qui allez-vous cité comme auteur ?

Johnny Hallyday ?

Quand je jette un oeil sur ma discothèque, je me dis que du plagiat, j'en écoute toute la journée. Des citations sans les guillemets ou des références plus subtiles, de l'intertextualité. Difficile de mettre la main sur LE premier interprète de tel ou tel titre quand tout le monde s'inspirait du voisin et enregistrait à quelques semaines d'intervalles. Parfois même, les copains étaient dans la pièce pendant l'enregistrement et notaient ce qui les intéressait. Cela fait partie de la tradition orale, qui s'est perpétuée sur disque. Les origines se perdent dans la nuit des temps.
Les choses sont quelques fois brouillées. Il arrive qu'en écoutant un vieux disque, on sursaute soudain. Alors, on se rapproche du poste, on s'interroge, et on a le sourire pour toute la journée :



J'aime beaucoup Mance Lipscomb (Texas, 1895-1976) qui m'évoque tendrement Mississippi John Hurt. Allez, "son" Baby don't you lay it on me pour se faire plaisir :

Plagiat, c’est un mot à la mode… On accuse vite et facilement !

Alors sans aucun doute les emprunts de Dylan sont nombreux, mais ils font de toute manière parti de son fonctionnement.

Il emprunte, certes, mais il le rend bien !

Et puis bon, quand je lis "Rollin' and Tumblin'" sur la pochette, je ne m'attends pas particulièrement à un truc débordant d'inventivité...

Dans le genre, Together Through Life n'est pas sans intérêt non plus. Outre My Wife's hometown empruntée à Willie Dixon (I just want to make...), Beyond here lies nothin' comme chacun sait puise honteusement chez Otis Ruch (All your love, 1958 je crois), auquel Howlin' Wolf (Who's been talkin') et même Santana (Black magic woman) et consorts doivent beaucoup.

Dans l'ordre, parce que j'aime bien me faire plaisir :

I just want to make love to you, Willie Dixon pour Muddy Waters, 1954 ---> My wife's hometown'


All your love, Otis Rush ---> Beyond here lies nothin'


Who's been talkin', Howlin' Wolf, 1962. (A noter que Dylan aime beaucoup Howlin' Wolf. Peut-être parce que la bouteille aidant, leurs voix sont de plus en plus semblables. En tout cas, la musique de Howlin' était diffusée juste avant chaque concert du Zim l'an dernier...)


Je vous l'accorde, c'est facile et je radote. N'empêche que si vous voulez mon humble avis, Dylan mériterait de reprendre son antédiluvien pseudo "Blind Boy Grunt".

C'est définitif J'ADORE CE POST !
J'en veux encore !

+1000000000000000000....

Bon dieu quel plaisir d'écouter tes liens Oyster!!
Moi je n'en ai rien à foutre du plagiat, du copiage et des reprises qu'ont pu faire les uns et les autres. Le blues ça prend d'abord aux tripes et après ça libère les glandes lacrymales, point barre!

En tout cas, ce que j'aime bien avec le dénommé Dylan, c'est qu'il a les mêmes goûts que moi !
Dans la série "Curiosités", Let's Stick Together, reprise d'une reprise de Let's Work Together :

High Water (For Charley Patton).

C'est explicite, Bobbynou rend hommage à Charlie, comme il le fit naguère avec Blind Willie, dont j'aborderai le cas illustre un autre jour. Pas de reprise donc, et l'on sera franchement fortiche si l'on reconnaît l'"originale" (qui n'en est pas une, puisque ce n'est pas une reprise, m'enfin, suivez !). Au fait, remarquez les chaussures, ça ne vous rappelle rien ? A Lille, j'ai failli grimper sur scène pour les lui cirer.

High Water by Charley Patton, octobre 1929 :

Part 1 -


Part 2 -


Et, comme Dylan est un garçon décidément facétieux, il en profite également pour claquer la bise à Elmore James au détour d'un couplet : "I'm getting' up in the morning - I believe I'll dust my broom..." :

Elmore James, Dust my broom, août 1951 -



A noter que pour ce titre devenu standad, Elmore s'inspirait fortement de son pote Robert Johnson, qui jadis tînt la jambe de... Charley Patton. Avec Dylan, la boucle est en quelque sorte bouclée. C'est typiquement en cela qu'on ne peut pas (rapport aux cas précédents) accuser Mr. Dylan de plagiat ; non seulement il s'inscrit dans une tradition devenue par la force des choses moderne, mais il catapulte cette tradition dans l'a-mordernité - ou l'intemporel si l'on préfère. Le serpent qui se mord la queue (Crawlin' King Snake, cf. Big Joe Williams, 19...41 ?) pour les intimes) a fait son oeuvre au-delà de toute espérance. (Les amateurs de paradoxes temporels jetteront un oeil ici au cas où, cela a même fait l'objet d'un mémoire de philosophie esthétique naguère.)

Robert Johnson - I believe I'll dust my broom, novembre 1936 -


...
Pour aller plus loin en matière d'eaux montantes, prêter une oreille à Tupelo de John Lee Hooker, qui, à l'instar de Charlie, narre la sinistre crue de 1927. On pourra également se référer à Bessie Smith, Black Water Blues, mais à la base, je devais parler de Bob Dylan...

John Lee Hooker, Tupelo (1963 ?) -


1995 -


Sur ce, après toute cette flotte, un bourbon sans glace s'impose.

Non mais attend ce topic c'est de la folie
Après les plagiats tu déterres les hommages

Géant
Bravo!

+1

bon ce n'est pas tout à fait la fin de l'année et donc l'heure des classements. D'ailleurs je ne vote jamais pour tout ces classements. Mais là force est de constater que je vote pour élire ce topic meilleur topic 2011 tous forums confondus.
La suite vite
Et si il y a des fortiches en anglais et en littérature anglaise, il peuvent nous faire la même chose avec les emprunts de Dylan à la poésie.

I've got the blues and i fuck you baby

sweet sadness

Un jour, je vous paierai des coups à tous les trois.

Continue de payer des liens YT bien choisis! ça te coûtera moins cher (je parle pour moi...)

ô maîtres dylanologues, je me demandais si Meet Me In The Morning ne serait pas au niveau du texte un Dylan 100% pur jus sans influence ou hommages d'un quelconque génial bluesman d'avant guerre..? Morceau rarement joué sur scène, il est pour moi l'un des meilleurs blues du Zim toute période confondue...

You're gonna quit me blues, Blind Blake, 1927.

De Blind Blake (1893 ? - 1933 ?), on connaît peu de choses hormis sa cécité, ses enregistrements et son penchant naturel pour le bourbon. Il grava une centaine de titres pour Paramount durant sa courte vie, chansons souvent dansantes et aigrelettes dans le style de l'excellent Papa Charlie Jackson et de Blind Willie McTell. Très bucolique.
J'avais complètement oublié sa version de You're gonna quit me que je posséde sur le joli deuxième CD de ce non moins joli coffret :



(All the published sides, 5 cds, 110 sides, JSP records London)

Version qui traîne sur Youtube, mais le vilain posteur a ajouté une indélicate reverb' qui perturbe quelque peu l'écoute :

Merci beaucoup pour les infos, Oyster !
Et pour parler de la reprise de Dylan, c'est ici : https://bdylan.forumactif.com/t1591-track-talk-31-you-re-gonna-quit-me

Un coffret 5 CD d'un gonze dont je n'avais jamais même croisé le nom.

Tu es décidément une mine sans fond.

Dans quel coin il zonait ? (Au moins, ses enregistrements, on sait où ils ont eu lieu, non ?)

Tout ça donne envie de découvrir. J'ai commencé et avec le blues, c'est un puit sans fond. Et c'est un vrai bonheur.

JeffreyLeePierre a écrit:

Dans quel coin il zonait ? (Au moins, ses enregistrements, on sait où ils ont eu lieu, non ?)

Né à Jacksonville, Floride.
(Style beaucoup moins brut et désespéré que le Delta, donc. C'est parfois un joyeux capharnaüm jazzy pour les titres avec orchestre.)
Sa carrière discographique s'étend de 1926 à 1932.
Il enregistre principalement à Chicago jusqu'en 29, puis également à Richmond et à Grafton.
Il retourne mourir en Floride.

Blind Willie McTell, 1898-1959

Quand on associe les noms Blind Willie McTell et Bob Dylan, on pense immédiatement "la perle cachée d'Infidels".
Finalement, je trouve qu'on ne mesure pas assez l'influence du premier sur le second. Même Dylan, dans ses Chroniques, a préféré souligner le rôle fondateur de Robert Johnson alors que, prenant la tracklist à rebrousse poil, c'est de Blind Willie qu'il cause en tout premier dans les notes de pochette de World gone Wrong. Talkin' blues, phrasé un tantinet arythmique, chansons délicieusement "hachées" (parfois, on dirait trois titres en un), le petit gars de Georgie a manifestement beaucoup déteint sur celui du Minnesota. Même ce timbre mi-fausset mi-je-sais-quelque-chose-que tu-ne-devineras-jamais, qui rend les mythes furieusement sympathiques...

Dans World gone wrong donc, Bobby reprend la sublimissime Broke Down Engine que voici :



Et Delia - ah, Delia ! - qui était déjà un traditionnel du temps de Blind Willie (qui en a gravé plusieurs versions) :



L'assassinat de Delia Green : http://en.wikipedia.org/wiki/Delia_Green

PS : Well, well, well, je ne résiste pas à l'envie de digresser et de vous présenter la chanson de Blind Will intitulée Lay some flowers on my grave, qui me semble un joli pendant "parfumé" à See that my grave is kept clean (que Dylan aimait, et aime toujours à mon humble avis, chanter). Les correspondances, j'aime ça :